Le 24 janvier dernier, les acteurs sociaux montréalais tenaient une conférence de presse pour tirer la sonnette d’alarme et demander aux gouvernements fédéral et provincial d’investir dans les services aux demandeurs d’asile.
Depuis la fin de la pandémie, le secteur communautaire est de plus en plus sollicité pour répondre, sans financements conséquents, à la détresse des demandeuses et demandeurs d’asile. La situation est à ce point inquiétante que plusieurs quartiers de Montréal ont décidé de prendre eux-mêmes les choses en mains en se regroupant (Écoles, services de police, organismes communautaires en immigration, en alimentation, en itinérance, CIUSS, élus municipaux) pour offrir les services de bases nécessaires. Mais les ressources ne suffisent pas et les équipes frôlent l’épuisement.
Qui sont ces acteurs sociaux qui tirent la sonnette d’alarme ?
La conférence de presse qui s’est tenue au 6767 chemin de la Côte-des-Neiges, est le fruit d’une mobilisation sans précédent. En effet, 14 instances de concertation montréalaises étaient mobilisées : Ahuntsic-Cartierville, Anjou, Côte-des-Neiges, Lachine, Mercier-Est et Mercier-Ouest, Montréal-Nord, Parc-Extension, le Plateau Mont-Royal et Rivière-des-Prairies, Saint-Laurent, Verdun et Ville-Émard–Côte-Saint-Paul. Les porte-parole des 14 quartiers sont unanimes : ils n’arrivent plus à répondre à la demande. À l’heure où nous écrivons cet article, plusieurs autres quartiers ont déjà manifesté leur souhait de se joindre à la coalition.
À la voix de ces instances locales, se sont jointes celle de la Table de concertation des organismes aux service des personnes réfugiées, immigrantes (TCRI) du Québec et de la Coalition montréalaise des tables de quartier (CMTQ).
Deux employés du CSAI étaient présents : Martin Savard en qualité de porte-parole de Concert’Action Lachine et Sylvie Guyon en qualité de porte-parole du comité immigration de la Concertation en développement social de Verdun (CDSV) et du comité de rapprochement interculturel de Ville-Émard/Côte-Saint-Paul.
Comment expliquer le plus grand nombre de personnes demandant l’asile ?
Un contexte mondial miné par les conflits. En 2022, nous avons franchi le triste cap des 100 millions de migrants déplacés en raison de conflit, de persécutions ou d’autres types de violences dans le monde. Cette tendance mondiale a des impacts sur de nombreux pays, dont le Canada. Les acteurs sociaux mobilisés exhortent les gouvernements à tenir compte des besoins cruciaux de services des personnes en demande d’asile en allouant les ressources nécessaires.
Lors de la conférence de presse, Martin Savard a rappelé que demander l’asile pour fuir la persécution et la violence organisée est un droit fondamental et que l’on doit donc s’assurer d’avoir les ressources nécessaires pour informer ces personnes et les appuyer dans leurs démarches.
La réouverture des frontières internationales, après une fermeture forcée par la crise sanitaire en 2020 et 2021, a provoqué un afflux records de demandeurs d’asile aux portes du Canada. En 2022, 92 715 demandes d’asile ont été enregistrées au Canada, dont 59 205 (soit 64 %) au Québec. Sur le territoire du Grand Montréal, ils seraient entre 40 000 et 50 000. Soulignons que la majorité est arrivée par voie régulière et non par le chemin Roxham, qui ne représente qu’environ 40% du total des entrées. Notons que si l’on en retrouve beaucoup dans la métropole, ces demandeurs d’asile se retrouvent aussi dans les couronnes nord et sud de l’île, et dans une moindre mesure dans plusieurs régions du Québec.
Les acteurs locaux mobilisés face à la détresse des personnes en demande d’asile
Deux centres d’hébergement provinciaux sont en opération; ils constituent le système régulier de prise en charge des personnes demandant l’asile au Québec. Les personnes qui y logent temporairement bénéficient aussi de services de base qui s’inscrivent dans le cadre du Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA).
Cependant, avec une capacité d’accueil de 1150 personnes maximum, ces deux centres ne peuvent pas répondre aux besoins. Ainsi, la majorité des demandeurs d’asile sont accueillis dans des hôtels fédéraux. Bien que le système d’accueil provincial comporte ses failles, chaque personne qui passe par les centres provinciaux est référé aux ressources adéquates. Dans les hôtels fédéraux, ces services sont nettement insuffisants.
Rappelons qu’en 2017, nous avons vécu une situation similaire avec une arrivée importante de demandeurs d’asile. À cette époque, les gouvernements avaient décidé d’utiliser le stade olympique et onze autres sites pour héberger temporairement ces personnes. Cette année, nous avons accueillis davantage de demandeurs d’asile sans que des actions semblables soient mises en place.
Les organismes communautaires et les institutions ont commencé à recevoir beaucoup de demandeurs et demandeuses d’asile qui n’avaient aucune idée des portes auxquelles frapper pour les différents besoins qu’ils et elles avaient. Face à ce que certains ont qualifié de chaos des hôtels fédéraux, il est devenu impératif pour les acteurs locaux de s’organiser sur le terrain pour fournir aux familles les services essentiels de base dont elles avaient si urgemment besoin. Les intervenants évoquent les situations de certaines familles qui ne savaient pas qu’il fallait que leurs enfants soient inscrits à l’école, d’autres qui marchaient sur le bord de l’autoroute en sandales à la recherche d’une friperie pour des articles d’hivers, de mamans enceintes sur le point d’accoucher qui se retrouvaient sans aucun suivi médical.
Le sous-financement des services allié à un niveau de demande sans cesse grandissant crée une pression énorme sur les travailleurs et travailleuses communautaires. Certains s’épuisent, d’autres quittent le milieu pour des conditions de travail moins stressantes ou plus avantageuse. Dans ce contexte de pénurie de main-d’œuvre, ceux qui restent et tiennent le fort sont à bout de souffle.
Les personnes en demande d’asile, prisonnières d’un cercle vicieux de marginalisation
Dès leur arrivée, les personnes qui demandent l’asile doivent se mettre à l’œuvre et se trouver un logement, un avocat pour les accompagner dans leurs démarches juridiques, se trouver du travail. Il est donc essentiel qu’elles soient accueillies et informées des démarches à entreprendre.
Les besoins sont multiples.
- Se loger. Les organismes en itinérance sont devenus des ressources incontournables parce qu’il n’y a que trois ressources communautaires en hébergement temporaires pour les demandeurs d’asile à Montréal.
- Se nourrir. Les organismes qui œuvrent dans le domaine de la sécurité alimentaire vivent déjà beaucoup de pression au lendemain de la pandémie et peinent à répondre à cette nouvelle demande.
- Se vêtir. Plusieurs reportages récents ont démontré que les organismes échouent à fournir ces familles.
En plus de ces besoins de base, s’ajoutent les besoins d’information dans leurs langues et d’accompagnement pour inscrire leurs enfants à l’école, faire les nombreuses démarches administratives (demande de permis de travail, demande d’asile, etc.), accéder aux soins de santé physique et mentale.
N’ayant pas accès aux services publics, les personnes qui demandent l’asile sont ainsi prises dans un cercle vicieux. Comment peuvent-ils se loger et se nourrir s’ils n’ont pas accès à un travail rapidement ? Comment peuvent-ils travailler et apprendre le français s’ils ne peuvent pas envoyer leurs enfants à la garderie ou à l’école ? Comment peuvent-ils aller travailler s’ils n’ont pas les moyens de s’acheter des titres de transport ?
De plus, comme l’a rappelé Martin Savard lors de la conférence de presse, en étant mal informés sur leurs droits et sur leur employabilité, les demandeurs d’asile sont plus susceptibles d’être victimes de fraude ou d’accidents du travail.
Cinq recommandations précises pour des résultats concrets et rapides
- Augmenter le financement à la mission des organismes communautaires, tous secteurs confondus, pour ainsi renforcer leur capacité à offrir un soutien et un accompagnement adéquats aux demandeuses et demandeurs d’asile.
« L’inadmissibilité des demandeuses et demandeurs d’asile à un bon nombre de programmes et de services de l’État précarise davantage cette population particulièrement vulnérable » Stephan Reichhold, DG de la TCRI.
- Rendre cette population admissible à l’ensemble du Programme d’accompagnement et de soutien à l’intégration (PASI) du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec, ainsi qu’aux services de garde subventionnés et aux mesures d’employabilité financées par Service Québec ;
« Contrairement aux autres nouveaux arrivants, les demandeurs d’asile ne sont pas admissibles aux services : ils sont laissés à eux-mêmes » Stephan Reichhold, DG de la TCRI.
- Annuler la décision du Conseil des ministres de 1996 qui limite l’accès aux services publics pour les demandeuses et demandeurs d’asile (exemples : aide juridique, services de garderie subventionnés, etc.
« Nous avons fait cette demande à maintes reprises, mais c’est resté sans suite malgré les appels répétés du milieu. On nous dit toujours que c’est le fédéral qui doit s’en mêler. » Stephan Reichhold, DG de la TCRI.
- Renforcer les services d’accompagnement juridique pour les demandeuses et demandeurs d’asile ;
- Mettre en place un dispositif d’hébergement transitoire pour ceux et celles qui n’ont pas accès à un logement décent.
Or, il semble que nous soyons dans une impasse politique entre le fédéral et le provincial qui se relancent mutuellement la balle, plutôt que de mettre en place des actions porteuses.
Pourquoi investir dans les services aux demandeurs et demandeuses d’asile ?
Les groupes communautaires dénoncent le préjugé selon lequel les demandeurs d’asile seraient un « fardeau pour la société », rappelant qu’ils ne demandent qu’à travailler et vivre en sécurité. Sylvie Guyon, nous a rappelé que la crise majeure que nous avons connu avec la pandémie de COVID 19 avait mis en évidence la sur-représentation des demandeurs d’asile dans les services essentiels. Leur contribution majeure au bien-être des Québécois leur avait même valu à l’époque le surnom d’anges gardiens.
Par ailleurs, plusieurs intervenants ont expliqué au cours de la conférence de presse qu’à long terme, il est plus coûteux pour la société de ne pas soutenir rapidement les demandeurs d’asile. Pour sa part, Sylvie Guyon a expliqué que la majorité d’entre eux resteront finalement en sol québécois et obtiendront la résidence permanente et qu’en leur imposant un parcours semé d’embûches, de stress et de précarités, pendant souvent plusieurs années, le gouvernement fait un très mauvais calcul.
Ce qu’en disent les médias
Pour en savoir plus sur les demandeurs d’asile
Une enquête révèle la réalité de demandeurs d’asile et de travailleurs temporaires qui occupent des emplois précaires. Ces personnes nous nourrissent et prennent soin de nous, mais peinent à obtenir le droit de s’installer ici. Vous voulez comprendre pourquoi ? Regardez cet excellent film documentaire de 50 mn, votre regard sur les personnes à statut précaire ne sera plus jamais le même.